Analyse — L’intelligence artificielle s’impose comme un levier stratégique majeur dans la transformation numérique mondiale. À l’occasion du tout premier Sommet africain sur l’IA, tenu à Kigali les 3 et 4 avril, les voix du continent se sont élevées pour revendiquer une IA conçue par et pour les Africains.
Face à l’accélération de la course technologique mondiale, l’Afrique est à un tournant décisif : passera-t-elle d’un statut de simple consommatrice à celui d’actrice souveraine du développement de l’intelligence artificielle ? Pour Francis Kombe, directeur exécutif d’EthiXPERT, une organisation panafricaine dédiée à l’éthique de la recherche, il est impératif que le continent s’approprie les enjeux de l’IA et investisse dans des solutions ancrées dans ses réalités locales.
Une IA façonnée par l’Afrique, pour l’Afrique
« Si nous ne concevons pas nos propres outils, selon nos contextes, nos langues et nos besoins, nous resterons dépendants de technologies importées, souvent biaisées », alerte Francis Kombe. Il tire la sonnette d’alarme : sans une implication directe des États africains dans le développement de l’IA, le continent risque une nouvelle forme de domination numérique.
Ce plaidoyer repose sur un constat : la majorité des modèles d’IA actuels sont développés selon des logiques occidentales. Ils ignorent les langues africaines, les spécificités culturelles, et les réalités socio-économiques locales. Pour Kombe, il s’agit d’une occasion unique d’éviter une reproduction des erreurs du passé, en construisant dès aujourd’hui une intelligence artificielle inclusive et éthique.
Souveraineté numérique et infrastructures locales
Au cœur de cette stratégie, la souveraineté des données. Les pays africains doivent pouvoir contrôler, stocker et sécuriser leurs informations sensibles. Cela implique la mise en place de centres de données locaux, mais aussi le développement de modèles linguistiques adaptés aux dialectes et langues les plus utilisées sur le continent.
« Ce n’est pas seulement une question de technologie », explique Kombe, « c’est une transformation structurelle. Il faut former des talents, constituer des bases de données représentatives, et créer des environnements propices à l’innovation. » Des pays comme le Kenya, le Sénégal, le Rwanda et l’Afrique du Sud montrent déjà la voie, mais ces avancées ne représentent qu’une fraction du potentiel africain encore inexploité.
L’éthique au centre des préoccupations
L’enthousiasme suscité par l’IA ne doit pas faire oublier les risques qu’elle comporte, notamment sur le plan éthique. Kombe insiste : « Il ne suffit pas de déployer des technologies, il faut aussi penser aux impacts humains et sociaux. » Il appelle à une IA capable de s’adresser à tous les citoyens, y compris ceux vivant en zones rurales ou en situation d’illettrisme.
Les biais algorithmiques, la perte de lien humain dans les services de santé, ou encore l’exclusion des groupes marginalisés sont autant de défis à anticiper dès la conception. Il s’agit de concevoir une intelligence artificielle ancrée dans la diversité africaine, et non réservée à une élite technophile urbaine.
Conclusion : investir pour ne pas subir
L’Afrique ne peut se permettre d’être en retard sur la révolution de l’IA. Pour éviter une dépendance technologique durable, les gouvernements doivent investir dès maintenant dans les infrastructures, les compétences humaines et les cadres de gouvernance nécessaires. « L’innovation doit venir de l’intérieur, portée par nos chercheurs, nos entrepreneurs, nos institutions », conclut Kombe.
L’IA ne doit pas être un nouvel outil d’assujettissement, mais un vecteur de souveraineté, de développement et d’inclusion. Le choix appartient désormais aux décideurs africains : subir ou construire.